Véronique Mennetrier : La médecine du travail, un métier en pleine mutation

Interview : Octobre 2015

Véronique MENNETRIER est médecin inspecteur au sein de l’inspection médicale d’Ile de France. (L’inspection médicale du travail constitue un organe spécifique d’appui technique au sein des services de l’inspection du travail). Référente pour le risque biologique, Véronique Mennetrier participe à la formation continue des agents de contrôle dans ce domaine et est examinatrice pour le concours national des inspecteurs du travail. 


Quelle place occupe le médecin du travail dans le monde professionnel ?

Véronique Mennetrier. La place du médecin du travail a considérablement évolué depuis 20 ans. Le scandale de l’amiante dans les années 90 ainsi que les nouvelles techniques de management y ont largement contribué.

Dans les années 2000, lorsque j’ai démarré la médecine du travail, nos visites étaient uniquement perçues comme une obligation règlementaire tant du côté des employeurs que des salariés. Les employés se demandaient quel était notre rôle. Ils avaient un référent santé en la personne de leur médecin traitant et notre spécificité permettant de mettre en adéquation leur état de santé avec leur poste de travail était rarement identifiée. De fait, nous assimilant à un autre médecin traitant, il ne comprenait pas la place de ce « doublon » Les employeurs, pour leur plus grande part, stockaient les fiches d’aptitude sans y apporter plus d’intérêt que pour les autres documents administratifs

Le scandale de l’amiante a permis de mettre en évidence la connaissance des risques encourus par bon nombre d’acteurs et le fait qu’aucun moyen de prévention adéquat n’avait été mis en place. Cette jurisprudence a amené l’obligation de sécurité mais également de résultat notamment dans la préservation de l’état de santé des salariés. Cette nouvelle responsabilité a changé le regard porté sur le médecin du travail devenant à la fois lanceur d’alerte et interlocuteur de référence sur la préservation de l’état de santé en entreprise. Le médecin du travail n’est ni un contrôleur, ni un censeur mais un conseiller qui depuis est devenu un interlocuteur clé pour les directions d’entreprises. Ses avis renvoient désormais à un risque de répercussions larges pour l’employeur s’il n’en tient pas compte.

Pour les salariés, la place du médecin a été comprise au fur et à mesure que les techniques de management ont changé. Nos interventions sur des problématiques dites « techniques » ne « passionnaient pas les foules ». À travers l’introduction des nouvelles techniques de management ont émergé les risques psychosociaux, la souffrance voire la maltraitance au travail. Les salariés ont alors découvert qu’ils pouvaient se confier au médecin du travail, et que ce dernier saurait en garder le secret. Le bureau du médecin est depuis devenu, comme une terre d’asile pour les personnes en souffrance.

Les médecins savent écouter mais aussi orienter vers d’autres professionnels car ils ne sont ni psychiatres ni psychologues. En complément, les traces médico-légales sont inscrites dans le dossier des personnes et de plus en plus produites en justice dans les reconnaissances de faute inexcusable, comme dans des suicides ou tentatives de suicides par exemple. Le dossier médical devient une pièce maitresse. Non seulement le salarié a la possibilité de parler auprès d’une personne qui ne le trahira pas auprès de l’employeur (il n’en a pas le droit mais surtout ce n’est pas dans la culture déontologique de la profession) mais encore cela permet de consigner les éléments. A l’image du coffre fort, le dossier médical reste secret et peut être ouvert par le salarié en cas de nécessité.

Le médecin du travail a désormais toute sa place au sein des entreprises, tant pour l’employeur que pour les salariés. La relation a changé, il est désormais un interlocuteur clé.

De quelle nature sont les difficultés que les médecins du travail rencontrent ?

Véronique Mennetrier. Les risques psychosociaux augmentent également dans la pratique des médecins du travail. Leur rôle de conseiller les place parfois au milieu d’une « guerre ». Le médecin se doit d’être neutre, c’est-à-dire de ne prendre ni partie pour l’employeur ni pour le salarié, mais lorsque survient une problématique, chacun va chercher à faire adhérer le médecin du travail à sa cause. De plus en plus souvent ces derniers reçoivent des recommandés sur des demandes d’explication ou des menaces de saisir la justice. Les demandes de contestation d’avis d’inaptitude (mais également désormais d’avis d’aptitude) flambent.

La seconde problématique est l’élargissement des secteurs des médecins du travail en raison de la diminution de la démographie médicale. Certains sont débordés et dans l’impossibilité de respecter les périodicités des visites réglementaires définies par le Code du Travail

D’ici quelques années nous allons encore perdre une grande partie de nos médecins du travail du fait des départs à la retraite. De nouvelles lois se mettent en place pour permettre la délégation de certaines de nos missions à d’autres acteurs des services de santé au travail (Infirmière, assistante de santé au travail, etc.).

Notre place a changé auprès des salariés et des employeurs, désormais, le métier va changer dans sa réalisation.

Le métier doit évoluer par rapport à la démographie, mais il est essentiel de veiller à respecter les professionnels Le rapport Issindou est violent dans les termes employés. Je ne suis pas d’accord avec la formule : « Le système ne marche pas », en réalité le système ne marche plus car la société a changé : les risques ne sont plus les mêmes et la manière de les aborder également. N’oublions pas que notre discipline a pris toute sa place grâce au travail de tous ces médecins.

Quelle place occupez-vous en tant qu’inspecteur ?

Véronique Mennetrier. À l’inspection médicale, nous avons essentiellement trois grandes missions :

  • le contrôle du fonctionnement des services de santé du travail,
  • l’assistance aux médecins du travail sur les situations sur lesquelles ils ont à statuer,
  • la participation au plan régional santé-travail. Le ministère compose un plan national santé (Le PST3 est à l’ébauche) que nous déclinons au niveau régional avec les partenaires sociaux et les partenaires institutionnels.
Comment imaginez vous le métier de médecin du travail d’ici 5 ans ?

Véronique Mennetrier. il faut garder au cœur du système le médecin, tout en parlant de service de santé au travail. À travers le travail d’équipe et la convergence des problématiques rencontrées nous aurons la possibilité de travailler davantage sur l’organisation du travail. Les services de santé au travail apporteront une expertise plus riche

Le véritable changement est la transformation du médecin du travail en pilote de l’équipe santé. Il devra dispatcher les compétences, en sortir des rapports, faire des préconisations. Il sera le conseiller incontournable, et nous, inspection, nous serons là pour les soutenir et être garants de leur indépendance.

Pouvez vous nous définir l’indépendance du médecin du travail ?

Véronique Mennetrier. L’indépendance est la liberté de parole (et d’écriture) face à un employeur ou à un salarié même si cela ne plait pas. Un médecin du travail ne peut pas être sanctionné par rapport à des écrits professionnels qui ont été produits.

En est-il de même pour les membres de l’équipe santé au travail ?

Véronique Mennetrier. Le médecin est un salarié protégé, c’est ce qui lui donne toute son indépendance. Ce n’est pas le cas pour les membres de l’équipe. Les messages devront donc passer par le biais du médecin afin de garantir ce droit ainsi que l’indépendance pour le reste de l’équipe.