Philippe Douillet : Aider à la reconstruction du sens du travail

Interview : Mai 2015

Philippe DOUILLET, ergonome et diplômé de droit social, est chargé de mission à l’ANACT au département « Santé et Travail » à l’Agence Nationale d’Amélioration des Conditions de Travail (ANACT). Après avoir conduit le projet de prévention des RPS au niveau national, il nous explique aujourd’hui la transition de l’ANACT vers la Qualité de Vie au Travail.

Vous retrouverez ses publications en fin d’article.


Pouvez-vous nous décrire en quelques mots l’activité de l’ANACT ainsi que le rôle que vous y jouez ?

Philippe Douillet. Je travaille dans le département Etudes, Capitalisation et Prospectives à l’ANACT. La mission du Réseau ANACT-ARACT* est d’aider les entreprises à trouver les meilleurs compromis entre performance et conditions de travail. En partant des questions du travail, il s’agit de favoriser le dialogue entre les divers partenaires de l’entreprise, les partenaires sociaux en particulier, sur les questions d’organisation du travail.

Nous sommes aujourd’hui davantage sur la question de la Qualité de Vie au Travail (QVT) que de la prévention des Risques PsychoSociaux (RPS) pour laquelle la demande des entreprises a explosé ces dernières années. A travers la QVT, il s’agit d’entrer plus nettement par la question de la performance des entreprises, de la qualité du service rendu en recherchant les meilleures conditions de travail pour atteindre cela. Quelque soit les sujets d’entrée ou les contextes sociaux qui soutiennent les demandes d’intervention, nous sommes toujours sur la question de la valorisation du travail dans les stratégies d’entreprises.

Jusqu’en 2013 j’ai piloté le projet sur la prévention des RPS. Durant ces 7 années, il s’agissait, pour l’ANACT, de construire un point de vue sur ce sujet et d’y développer des pratiques de prévention efficaces. J’ai animé des partenariats avec différents acteurs institutionnels (INRS, instituts de recherche, etc.) afin de capitaliser à travers colloques et publications les connaissances construites. Nos savoirs spécifiques sont essentiellement issus de l’intervention en entreprise en lien avec les connaissances apportées par le monde de la recherche. C’est toujours en lien avec le terrain et les partenaires de l’entreprise (RH, acteurs sociaux, médecins du travail, etc.) que l’on développe des pratiques efficaces.

Le réseau ANACT-ARACT est passé de la prévention des RPS à la qualité de vie au travail, pouvez vous nous expliquer pourquoi ?

Philippe Douillet. Ce que nous avons progressivement porté, c’est une réponse aux à des demandes des entreprises qui ne soient pas tirées uniquement par la souffrance tout en prenant en compte les difficultés réelles pour faire son travail aujourd’hui dans beaucoup de contextes. Il s’agit désormais de ne pas rester sur le versant « souffrance » et « prévention » pour aller au contraire vers la construction d’organisations porteuses de sens, permettant l’engagement des personnes, la construction de l’identité des acteurs et des collectifs de travail.

Tout l’enjeu est de passer des facteurs de contrainte, qui induisent les difficultés pour faire son travail, aux facteurs de ressources qui peuvent être mobilisés au niveau individuel, collectif et organisationnel. Autrement dit, concevoir des organisations du travail où l’on puisse se reconnaître et être efficaces. Il s’agit de valoriser tout ce qui peut être facteur de construction pour l’identité des acteurs au travail.

Pouvez vous nous dire ce que cela apporte ?

Philippe Douillet. Il est difficile de donner une vision globale et unique car les situations sont très variées, mais cette approche est plus respectueuse de l’effort permanent d’engagement des personnes au travail et conforme à ce que vivent les salariés.

Lorsque l’on intervenait sur les RPS, les acteurs parlaient des risques mais avaient aussi toujours besoin de parler de leur investissement subjectif et de la beauté de leur travail. Intervenir par cet axe met les interlocuteurs en position d’acteurs, même si bien entendu il y a aussi des situations parfois très dégradées qui rendent cet engagement plus difficile et douloureux.

A travers la QVT, nous intervenons moins strictement en prévention qu’en construction d’organisations performantes. Nos interlocuteurs ne sont plus alors forcément issus du seul domaine de la santé (Préventeurs, médecins etc.) mais sont issus d’autres domaines plus stratégiques : directeur des ressources humaines, responsable de la production ou de l’organisation. Cela rend les interventions plus fécondes car centrées sur l’organisation du travail avec les acteurs qui en ont la charge. Nous sommes centrés sur la qualité du service rendu et sur les conditions de travail qui la favorisent. Cela permet de mieux prendre en compte les acteurs du travail et d’élargir de spectre des acteurs concernés.

En quoi ces sujets (RPS ou QVT) sont une opportunité de développement de l’identité des personnes ?

Philippe Douillet. Ce qui me vient c’est le lien avec la reconnaissance. Je prends en référence les travaux d’Yves Clot ainsi que ceux de Georges Canguilhem à travers la citation: « Je me porte bien, dans la mesure où je me sens capable de porter la responsabilité de mes actes, de porter des choses à l’existence et de créer entre les choses des rapports qui ne leur viendraient pas sans moi […]»

La question est en lien avec ce que je peux apporter au monde, mon monde du travail, mes collègues, et l’histoire professionnelle de mon contexte de travail. Tout ce qui s’est fait sur les RPS a rappelé l’importance de la reconnaissance. C’est paradoxalement au travers de l’expression de la souffrance au travail dans les demandes RPS que s’est reconfirmée la place centrale du travail dans la construction de l’identité de la personne. C’est à travers la contribution à l’œuvre collective réalisée avec les collègues et la reconnaissance des pairs que l’on se construit. Quelque soit sa place dans l’organisation, que l’on soit cadre, technicien, ouvrier, agent administratif, la demande de reconnaissance était toujours très forte en lien avec l’engagement que chacun souhaite mettre dans son travail. La « période RPS » correspond à des contextes contemporains du travail qui sont fortement exigeants sur la plan psychique alors que les retours perçus sont très faibles compte tenu de la montée de critères de résultats fondés sur des logiques purement financières, des changements permanents qui fragilisent les possibilités de donner du sens à son travail.

Au travers de toutes nos interventions, se repose finalement toujours la question : quelles sont les conditions qui permettent de faire un travail efficace et de qualité et qui réponde aux attentes des salariés ? Le sujet des RPS a mis en lumière les attentes fortes sur le travail.

Lorsque l’on réalise des enquêtes sur la satisfaction au travail, les réponses sont en général très positives à la question générale de la satisfaction globale. Par contre, lorsque l’on questionne sur les conditions du travail plus précises, les réponses traduisent très souvent une déception forte. C’est bien tout l’enjeu sur les RPS et la QVT : quelles sont les conditions qui permettent de faire un travail de qualité qui soit aussi un travail qui satisfasse ses besoins de reconnaissance, de créativité, d’autonomie, de coopération ?

Pourquoi à travers votre carrière vous être intéressé à ces questions ?

Philippe Douillet. Je travaille depuis toujours sur les questions de la santé au travail. J’ai été chef de projet sur la prévention des troubles musculo-squelettiques (TMS) à l’ANACT avant d’animer le projet sur les RPS. Ce qui m’a vraiment intéressé c’est le passage des risques physiques vers la santé mentale et une prise en compte plus complète de l’homme au travail.

Cette dimension du sens au travail est moins explicite lorsque l’on est sur des risques chimiques ou physiques. Avec les TMS on voyait bien qu’au delà des questions physiques que l’on pouvait objectiver (les dégradations physiques liées à la répétitivité des gestes et l’augmentation des cadences), on y percevait déjà la question du sens. Je me suis toujours intéressé à une approche holistique* de l’homme au travail.

C’est intéressant de travailler sur les notions de RPS car il y a une dimension beaucoup plus explicite exprimée autour du sens du travail. Cela a pu s’exprimer plus fortement et a permis de voir ce qui est vraiment en jeu dans le travail pour les personnes.

Aider à la reconstruction du sens, faire en sorte que le travail ait un sens pour les personnes dans toutes ses dimensions, c’est-à-dire individuelles et collectives, c’est cela mon métier. Il n’y a pas de possibilité de travailler sans donner un sens à son activité. On est là au cœur de l’activité humaine.


Voici deux ouvrages de Philippe Douillet sur le même thème :

Publications :