Cédric PORTE : Peut-on travailler à tout prix ?
Interview : Février 2016
Cédric PORTE a d’abord exercé le métier de scénariste avant de pratiquer divers métiers puis de tout perdre y compris son domicile. Alors qu’il retrouve un emploi, les conditions de travail maltraitantes vont l’amener à faire un choix : doit-il tout accepter pour travailler ? Il co-écrit un livre témoignage dont vous trouverez les références en fin d’article
Nous l’avons rencontré afin qu’il nous explique comment il a choisi de sortir d’une vie professionnelle qui était devenue insupportable.
Comment voulez-vous vous présenter ?
Cédric PORTE. On peut se rendre compte de l’importance du travail lorsque l’on n’en n’a plus. Dans notre société, nous sommes « quelqu’un » uniquement sous l’angle du travail. L’une des premières questions que l’on pose lors d’une nouvelle rencontre est : « Qu’est-ce que tu fais ? », avec pour sous-entendu : « Quel métier exerces-tu ? », comme si toutes nos actions se réduisaient à la sphère professionnelle. Cela amène alors à n’être plus rien lorsque l’on perd son travail. Pourtant, nous ne pouvons être définis et réduits à ce que nous faisons dans une seule sphère. Je suis « avocat » par exemple nous définirait par une profession, or, nous ne sommes pas une fonction.
Vous avez publié un ouvrage l’été dernier où vous racontez une expérience professionnelle douloureuse. Comment s’est déroulé votre parcours professionnel ?
Cédric PORTE. J’ai démarré ma carrière en tant que scénariste. Je gagnais beaucoup d’argent en travaillant finalement assez peu. Je n’étais pas conscient de cette facilité. Cela me semblait naturel. Pourtant, ce sont des opportunités plus que des compétences qui permettent qu’un métier soit valorisé et bien rémunéré. Il s’agit d’exercer le bon métier au bon moment. Pourtant, un grain de sable suffit à gripper le système.
Après cette expérience, j’ai cumulé plusieurs emplois pour compenser le niveau de vie acquis précédemment : Intérimaire de jour et de nuit. J’étais employé par un sous-traitant de la grande distribution. Il s’agissait de réapprovisionner les rayons des supermarchés. J’étais devenu un mercenaire du SMIC* horaire.
Le travail de nuit me permettait d’être mieux payé, mais peu à peu, je m’y suis abimé la santé, y ait perdu ma vie sociale, car les liens se distendent peu à peu quand vous n’avez plus d’espace pour rencontrer vos amis, et y ai laissé ma vie de couple et de famille. Tout cela n’était déjà plus « une vie », mais de la survie. In fine, cette vie était vouée à l’échec, car dans ce type d’emploi, quel que soit l’effort fourni, être le meilleur ne sert à rien. Quand on n’a plus besoin de vous : c’est fini.
J’ai perdu mon logement et par hasard, une caméra de CANAL + m’a filmé. Je ne ressemblais pas à un SDF ordinaire. Les médias ont des codes et j’y répondais. Au moment de passer sur CANAL + , j’avais honte de m’afficher à la télévision pour dire que j’avais été expulsé de mon logement et de parler de ce que j’avais subi plutôt que de ce que j’avais fait. Mais il me parait essentiel de savoir me dépasser. J’y suis allé malgré ma peur. A la suite de cette intervention, une femme m’a proposé un emploi en direct devant des caméras. Mon livre s’attache à raconter l’enfer que j’ai vécu dans cette entreprise.
Vous ne vous êtes pas contenté de quitter cet emploi, vous avez décidé d’écrire et publier votre histoire. Qu’est-ce que cela vous a permis ?
Cédric PORTE. Il s’agissait pour moi de dénoncer ces conditions de maltraitance et par là même de me réaccorder à mes valeurs. Quand j’écrivais ce livre, il y avait cette question de la survie. Ce livre est ma dignité retrouvée et celle-ci n’a pas de prix. J’ai une éthique : je ne sais pas ce que je vais faire maintenant mais je sais ce que je ne veux plus faire.
Écrire un livre est un ascenseur social. Il m’a enfin permis d’être écouté. Par exemple, notre rencontre de ce jour est possible parce que vous avez lu mon livre, mais j’ai aussi eu des articles dans LE MONDE, j’ai rencontré beaucoup de personnes grâce à cette médiatisation.
C’est douloureux d’écrire ; c’est une mise à nu que j’opère dans ce témoignage, et une manière de me regarder en face. Depuis ce livre, j’ai peur de retomber dans un système qui peut me broyer. Je suis peu à peu devenu paranoïaque. Aujourd’hui, grâce à ce livre, on me croit, on me parle. Écrire a été pour moi une thérapie. J’ai rencontré un directeur éditorial qui est depuis devenu un ami, qui nous a donné de l’argent pour écrire (Ndlr : ce livre est coécrit avec Nicolas CHABOTEAU). J’étais traité comme un bon à rien et cet éditeur m’a écouté et payé pour raconter mon expérience.
Quand avez vous eu le déclic de quitter l’entreprise dont vous parlez dans le livre ?
Cédric PORTE. Quand j’ai voulu en finir. J’ai alors eu un éclair de lucidité au moment d’ouvrir la fenêtre. J’ai refait le fil de ma vie, de ce qui s’y est passé et ai décidé de la reprendre en main.
Je savais alors qu’en donnant ma démission ce qui m’attendrait serait la rue. J’ai commencé à répondre à mon formateur et à ses intimidations.
Pour la première fois, lorsqu’il me dit : « Vous me prenez pour un con ? », je lui réponds : « Je ne sais pas qui a commencé de vous ou moi. ». J’ai répondu poliment, sans agressivité, mais alors que je l’ai mouché, je me rends compte que je ne suis plus une victime et que je peux changer le rapport de force. C’est finalement une toute petite phrase qui me permet de dire « C’est fini. » je reprends la main sur ma vie, sur mon travail tout en sachant le prix que cela va me coûter. Logement, relations, je n’ai rien à perdre à part ce travail qui m’apporte un revenu.
Comment vous reconstruisez vous depuis cette expérience ?
Cédric PORTE. C’est un soulagement immédiat suivi d’une grande mélancolie. Tout est compliqué : se lever, se laver, sortir. J’avais mis à distance beaucoup de douleurs qui resurgissent. J’appelle alors un psy pour m’aider à comprendre ce que je vis, puis avec Nicolas CHABOTEAU avec qui j’ai écrit l’ouvrage, nous commençons à décortiquer notre expérience afin de mieux la comprendre.
Qu’est-ce qui va vous permettre de sortir de la mélancolie ?
Cédric PORTE. Le lien avec ma fille. Oui, c’est la responsabilité d’être père qui me plombe et me maintient à la fois. Cela me permet de trouver beaucoup de solutions face aux manques d’argent pour aller la voir (Ndlr : la fille de Cédric Porte habite avec sa maman à une centaine de km) comme par exemple d’aller à Rungis où les routiers sont contents de prendre des passagers pour les distraire de l’ennui des longs trajets. C’est cette créativité qui s’exerce aussi dans la capacité à voir les situations sous un autre angle. Je me sers de ma compétence de scénariste. « C’est ingénieux » me dit-on…., je réponds : « Oui : ça s’appelle faire du stop ! ». Les routiers sont solidaires entre eux, s’appellent pour dépanner et cela me permet de descendre gratuitement. On peut développer beaucoup de choses dont on n’a pas conscience.
J’ai aussi pour habitude de coller sur un mur les actions que je dois entreprendre. Je les regarde, elles sont sous mes yeux, je m’en imprègne et cela me permet de me mettre en action.
Je fais aussi des vœux à l’univers, cela s’appelle le «transurfing ». C’est accepter son impuissance sur certaines choses et laisser les problèmes se résoudre d’eux-mêmes. La vie n’est finalement qu’un jeu.
Voici l’ouvrage de Cédric PORTE et Nicolas CHABOTEAU publié en 2015 :
Publication :
serge Clérissi
Fév 21, 2016 @ 13:00:46
Le retour de la féodalité doit nous détourner de l’épanouissement par le travail subordonné. En attendant la prochaine révolution cultivons nôtre jardin source de bien être et de patience…
Fabienne Hostachy
Fév 21, 2016 @ 14:55:52
Merci Serge pour votre commentaire. Oui, se sentir bien et être en accord avec ce que l’on fait me semble important que cela soit dans un travail subordonné ou non. La nouvelle idéologie serait aujourd’hui d’être son propre patron. Ce qui m’ennuie c’est que cela devient peu à peu une injonction et non plus une liberté.