Morgane L’HOSTIS : Les filles sont encore rares dans le monde du web

Interview : Octobre 2016

Morgane L’HOSTIS a co-fondé Popmyday, une application mobile de prestations beauté à domicile, avec Charles BERENGUER après leur rencontre à HEC.

Lancée à Paris fin 2014, la startup a reçu en 2015 le Prix du Meilleur Potentiel de l’incubateur HEC après avoir remporté en 2014 le premier prix du L’Oréal HackDay.

Après deux années prometteuses, une centaine de « popartistes [1] » sélectionnée et quelques  milliers de clientes heureuses et mises en beauté, nous avons rencontré Morgane, tout juste 26 ans, pour faire un point de parcours 🙂


Lorsque tu te présentes, comment décris-tu ton métier ?

Morgane L’HOSTIS. Je n’ai jamais la même réponse à cette question. Si mon interlocuteur est familier du concept de startup, je lui explique que j’ai fait une application mobile qui s’appelle Popmyday. Si je m’adresse à quelqu’un de la génération de mes parents, je parle alors d’un nouveau service à domicile d’esthétique en axant sur le service plus que sur l’aspect web. Dans d’autres contextes, je dis que j’ai « monté ma boîte ». Ça surprend un peu, c’est marrant.

Qu’est-ce qui crée la surprise quand tu dis « j’ai monté ma boîte » ?

L’âge tout d’abord, et puis le fait d’être une fille car cela reste encore rare dans le monde du web. Dans le même temps, je pense que la figure de l’entrepreneur est celle du siècle. A chaque siècle sa figure, le chevalier au XIIIème, l’honnête homme au XVIIème, le philosophe au XVIIIème, etc. Je pense que l’entrepreneur devient l’emblème de ce à quoi notre société aspire. Chacun à son échelle essaie de créer quelque chose.

Qu’est-ce qui est aussi attirant dans l’image de l’entrepreneur ?

Beaucoup d’images très fortes sont véhiculées : liberté, audace, courage, pourtant… dans les faits, la liberté, on en rediscutera ! (rires)

Dire que l’on est entrepreneur dégage tout de suite quelque chose avant même de parler de taille d’entreprise ou même de réussite. C’est à un tel point que beaucoup de personnes se disent « entrepreneur » alors qu’au fond, ça se discute…

Qu’est-ce que c’est alors qu’être « entrepreneur » ?

Quelle que soit l’échelle, je pense que le dénominateur commun est la prise de risques. Beaucoup de personnes se disent « intra-preneur ». Ils entreprennent pour un groupe ou une entreprise, avec un salaire, un CDI. Ils ne prennent pas de « vrais risques » en se mouillant personnellement. Sans client à la fin du mois, nos Popartistes [1] ne gagneront rien. Elles se mettent en danger.

Rétrospectivement, comment as-tu fait le choix de devenir entrepreneuse plutôt que d’intégrer une grande structure et y faire carrière ?

C’est le hasard. Enfin, oui, non ; ça me trottait dans la tête depuis mon expérience à San Francisco où j’avais pris de plein fouet les paillettes de l’entreprenariat. J’ai ensuite rencontré Charles, mon associé, par hasard. Nous étions dans la même classe, mais sur une promotion de 90 élèves, il y avait peu de chances de nous retrouver sur un même projet.

Lorsque nous avons travaillé ensemble, j’ai senti que nous avions une grande complémentarité. Je me suis dit que nous pourrions former un bon duo professionnel. J’ai alors provoqué le destin. Je me souviens lui avoir dit : « Écoute Charles, on s’entend bien, peut-être pourrait-on travailler ensemble ? » J’avais l’impression de lui demander de sortir avec moi… c’était hyper-gênant ! (rires) Il m’a répondu : « Écoute, pourquoi pas. On fait le test. » Il était un peu évasif, mais nous avons vite démarré un projet qui a évolué au fil des mois pour finalement donner naissance à Popmyday.

Cela nécessite un bon recul sur soi que de se dire que l’autre est complémentaire. À quoi l’as-tu repéré ?

J’ai un esprit pratique et très réactif, je suis très opérationnelle. Ce qui m’a immédiatement frappé chez Charles, outre ses compétences techniques, c’est sa vision, sa capacité à se projeter à très long terme. Il a également une grande patience et un grand sens esthétique. Au niveau de nos personnalités, j’ai tout de suite senti nos différences. Il est posé, réfléchi, alors que je suis hyperactive. Bien évidemment, il est facile de rationaliser a posteriori ; sur l’instant, c’est l’intuition qui a fait le travail…

Comment imagines-tu ton devenir professionnel ?

Je ne me projette pas car je n’ai pas envie de me créer des illusions et d’être potentiellement déçue. Je reste centrée sur nos objectifs à très court terme car l’urgence est omniprésente, pourtant, cela ne m’empêche pas de construire un plan pour y arriver.

Quel était ton rêve de métier lorsque tu étais enfant ?

Monter un business de beauté n’était pas mon rêve mais j’aime bien l’idée de me laisser guider pour voir où la vie et les rencontres imprévues me mènent. Aujourd’hui, après avoir monté cette entreprise dans un secteur que je ne connaissais pas, je suis convaincue que si l’on se donne les moyens on peut tout faire, on peut entreprendre dans n’importe quel secteur d’activité. J’aimerais exercer plusieurs métiers très différents dans ma vie : être journaliste ou professeur, mais aussi reprendre des études de philosophie ou de physique. L’expatriation me tente, quel que soit le métier. J’ai aussi pour projet de partir faire un grand voyage en bateau avec mon compagnon. Pour le moment, l’aventure c’est Popmyday et je crois que cela va encore me prendre un petit bout de temps !

L’uberisation du monde du travail est assez décriée, Popmyday en tant que plateforme de mise en relation de professionnels est un acteur de cette transformation. Quel est ton avis sur la relation des indépendants à ces plateformes ?

Nous sommes une dizaine de startups à faire partie d’un groupe interministériel travaillant sur la mise en place de l’article 60 de la Loi Travail, loi dessinant les relations et la responsabilité sociale des plateformes à l’égard des travailleurs indépendants.

Aujourd’hui, plusieurs problèmes se posent qui ne sont pas forcément du ressort des plateformes mais relèvent plutôt du statut d’auto-entrepreneur. La création de ce statut est une bonne initiative qui a permis à de nombreux professionnels de se lancer. Il reste de nombreux éléments à retravailler sur les aspects du droit, de l’assurance et de la protection sociale. La difficulté étant de garder la simplicité et la souplesse actuelle des démarches administratives, tout en améliorant la protection sociale.

Pour l’État aujourd’hui, un autre enjeu majeur se situe autour du recouvrement Urssaf du fait que de nombreux indépendants et travailleurs à domicile ne déclarent pas l’ensemble de leurs revenus.

Pour les plateformes, le principal risque reste la requalification[2], en salariat. C’est un frein au développement et à leurs recherches de financement. La jurisprudences est plutôt en faveur des plateformes mais la législation reste floue, il devient urgent de clarifier le lien qui unit l’indépendant et la plate-forme.

Nous sommes sur un nouveau mode de travail qui nécessite de repenser le système complet. Mais ce qu’on oublie souvent c’est que l’uberisation a démarré bien avant l’arrivée d’Uber.

A travers quoi notamment ?

Tous les secteurs connaissent une recrudescence du nombre de travailleurs freelances depuis une dizaine d’années. Aux Etats-Unis, les études annoncent que cela concernera près de 40% des actifs à horizon 2020. Sur le secteur de la beauté, l’explosion de l’auto-entreprenariat a démarré dès 2008 avec une croissance de plus de 50% des coiffeurs à domicile entre 2008 et 2012, soit bien avant Popmyday et les plateformes en somme.

A quoi est-ce relié ?

L’auto-entreprenariat qui représentait 13% des établissement de coiffure en 2008 est passé à 20% en 2012[3], ce qui signifie que sur 4 ans il a presque doublé. C’est énorme !

Les raisons principales sont l’explosion des coûts fixes pour les coiffeurs (loyers et salaires), des prix gelés du fait de la crise économique, et enfin sur le métier de la coiffure, une difficulté à augmenter indéfiniment sa rentabilité du fait d’un manque d’innovation technologique majeure. Même s’il y a des chaînes « cheap » qui promettent des choses dans un délai de 10 minutes, les prestations de services restent capés par le temps humain. Pour les gérants de salon, il devient alors beaucoup plus intéressant de se lancer à domicile. Plus de loyer, plus de salaire, et je peux faire exactement la même chose auprès de ma clientèle de salon que je récupère.

Un autre aspect du métier est le manque de perspectives d’évolutions. Lorsque l’on est salarié du secteur, l’évolution et le salaire sont vite plafonnés. Soit on évolue en tant que patron de son propre salon, soit on se lance à son compte, à domicile.

Pour les esthéticiennes, c’est le même parcours. Le statut d’auto-entrepreneur a beaucoup aidé en facilitant les démarches administratives. Entre la démarche d’ouvrir un salon, de prendre un expert-comptable et tout ce qui constitue un lancement, démarrer une activité d’auto-entrepreneur par quelques clics sur internet, est d’une simplicité imparable.

En terme de carrière ou de pérennisation de relation, quelles évolutions votre plateforme peut-elle proposer aux Popartistes [1] ?

L’évolution pour un indépendant pourrait être de monter sa propre structure et de salarier d’autres personnes. C’est le principe des métiers d’artisanat, pour développer son chiffre d’affaires, il faut avoir des mains supplémentaires. C’est le principe chez Uber où 70% des chauffeurs sont salariés. Ils démarrent en free-lance puis, lorsqu’ils en ont assez de conduire ils créent une société de transport et embauchent des salariés pour conduire à leur place et augmenter leur chiffre d’affaires.

Qu’est-ce qui changerait pour Popmyday dans ce modèle ?

Notre premier rôle est le développement de la plateforme technologique. Notre cœur de métier sera toujours de mettre en relation un professionnel et un client. Après, le client pourra être une entreprise, une femme, un homme, un français, un anglais, etc… mais notre métier restera l’intermédiation. Nous pourrons imaginer développer une suite d’outils annexes pour permettre à nos Popartistes de gérer au mieux leur relation client et leur activités. Nous souhaitons également les accompagner au mieux dans leurs démarches administratives et utiliser la force de frappe du réseau pour négocier des partenariats.

Comment choisissez-vous les Popartistes[1]?

Nous veillons à toujours rester l’intermédiaire en laissant l’arbitrage de la sélection à un Popartiste déjà membre du réseau. Nous n’organisons que les aspects matériels et logistique en mettant à disposition un lieu et en choisissant des modèles mais ce sera toujours le Popartiste de référence qui aura le dernier mot de validation quel que soit notre avis sur les personnes.

Notre volonté de rester tiers nous permet de rester humbles car nous ne sommes ni coiffeurs ni esthéticiennes. Cela nous permet d’aller chercher nos expertises métier auprès de nos Popartistes, de leur laisser le choix, de leur donner le sentiment qu’ils ne sont pas seuls mais une communauté à laquelle nous nous référons et qui se valide elle-même. Les clients sont ceux des Popartistes et non les nôtres.


[1] Popartiste : la personne qui vous met en beauté chez Popmyday a été rigoureusement sélectionnée et validée par le réseau  !
[2] Requalification : elle constituerait la transformation de la relation d’affaires entre l’indépendant et la plateforme Popmyday en contrat de travail. Pour ce faire, il est nécessaire de prouver la relation de dépendance, autrement nommé « lien de subordination », entre le free-lance et son client. En l’occurence, le client est ici la bénéficiaire de la mise en beauté et non la plateforme.
[3] Étude Xerfi menée en 2014