Bénédicte BALTUS : S’assurer de l’application de la Loi, tout un métier !

Interview : Mai 2016

Bénédicte BALTUS travaille depuis 40 ans pour le Ministère du travail où elle a exercé un temps le métier de contrôleur du travail avant de reprendre des études pour présenter le concours d’inspecteur du travail. 

Les changements d’organisation au sein du Ministère en parallèle de la mutation profonde du travail, autant d’éléments qui ne facilitent pas le quotidien des inspecteurs. Nous l’avons rencontrée afin qu’elle nous présente son métier d’inspectrice du travail, au moment où le projet de loi El Kromri* agite la France (#NuitDebout).


En quoi consiste le métier d’inspecteur du travail ?

Bénédicte BALTUS. Un inspecteur est un fonctionnaire de l’état, dont la garantie d’indépendance est protégée par l’OIT (ndlr : Organisation Internationale du Travail).

Notre travail consiste à vérifier la bonne application du code du travail (et des textes y afférent) dans les entreprises où nous pouvons intervenir 24 heures sur 24, sans aucune autorisation préalable quelconque.

Nous contrôlons les chantiers du bâtiment, les entreprises de transports, maritimes et agricoles, intervenons pour le retrait de l’amiante, et assurons également des permanences durant lesquelles nous informons l’ensemble des membres de l’entreprise : salariés, employeurs, élus et syndicats. Nous participons au dialogue social et lors des conflits pouvons agir en qualité de médiateur si les 2 parties en sont d’accord.

Comment se professionnalise-t-on en tant qu’inspecteur ?

Notre ministère nous propose un certain nombre de formations de base, cependant, c’est sur le domaine juridique que nous devons nous améliorer car les magistrats ont un formalisme très précis qui conduit à ce qu’un certain nombre de procès verbaux soient classés sans suite (ou amener a des amendes dérisoires) au prétexte que la forme juridique aurait mérité une autre tournure.

Les partenariats avec le médecin inspecteur du travail et les contrôleurs de la CARSAT contribuent également à notre professionnalisation. Nous travaillons en concertation avec eux car nos prérogatives ne permettent pas de tout gérer. Les contrôleurs de la CARSAT par exemple ont une formation BTP, amiante, etc. Nous avons des droits et des visions complémentaires qui permettent un appui et des paroles validatrices.

Comment évolue votre métier ?

Sur le terrain, nous n’avons plus que des inspecteurs du travail, là où par le passé, nous avions des contrôleurs et des inspecteurs.

Nous ne sommes pas des travailleurs libéraux et répondons à une hiérarchie qui a été doublée récemment : nous avons des directeurs adjoints et des responsables des unités de contrôle. Chaque unité départementale est désormais segmentarisée. Sur chaque segment les actions prioritaires sont définies par ces responsables.

Notre métier change et les textes auxquels nous devons nous référer bougent de plus en plus souvent. La loi du Dialogue social a été modifié 20 aout 2008, jusque là nous avions eu le temps de l’appréhender le diffuser etc. Entre les lois Rebsamen, Macron et bientôt El Kromri, les lois se succèdent désormais à très grande vitesse.

Il y a encore peu de temps, en cas de doute d’interprétation notre outil de référence était le code du travail. Désormais les inspecteurs du travail doivent connaître les accords d’entreprise, les dérogations etc. C’est une véritable appréhension que nous avons d’être à jour et d’avoir lu les accords spécifiques avant chacun de nos contrôles.
Le fondamental de l’inspecteur du travail est le droit mais pour comprendre l’infraction nous devons maitriser un minimum de technique. Nous souhaitons rester généralistes mais devons tout de même avoir des connaissances très étendues qui vont des risques biologiques aux nanomatériaux en passant par les directives Seveso par exemple. En parallèle nous avons une accentuation très forte du domaine hygiène et sécurité. Face à ces nouveaux éléments des ingénieurs spécialisés ont intégré nos équipes pour les renforcer. Notre métier est très riche mais dans le même temps épuisant car nous ne pouvons pas tout maitriser, mais devons toujours être en veille.

Il est important de savoir qu’en France, nous inspecteurs du travail sommes moins nombreux que dans certains pays émergeants et en tous cas que la plupart des pays européens.

Pour finir en terme de changements, il y a 10 jours a été voté un décret élargissant nos prérogatives. En cas d’infraction amenant à un risque grave nous aurons la possibilité de faire fermer un atelier ou une entreprise sans passer par un référé et le juge. Bien évidemment cela restera soumis à la validation de la par la direction départementale et notre dossier devra être imparable.

Pouvez vous nous raconter comment vous êtes devenue inspectrice du travail ?

Avec pour seul diplôme le baccalauréat j’ai commencé comme contrôleur du travail et ai aspiré à faire appliquer la loi. Je me suis impliquée et engagée dans le syndicalisme où de nombreux échanges avec des collègues très brillants m’ont donné l’émulation et le courage nécessaire pour reprendre les études et me projeter vers ce métier d’inspecteur du travail. Étant femme, guadeloupéenne avec le goût du savoir, l’administration me semblait être la meilleure voie pour progresser. J’ai eu alors la chance de bénéficier d’aménagements de mon poste de travail pour pouvoir suivre des cours au CNAM.

Je me suis sentie stimulée pour aller plus loin. J’en suis très heureuse car après avoir travaillé pour d’autres institutions où je faisais mes heures, ici, dans ce métier, je me réalise pleinement par le sentiment d’être utile.

Nos permanences permettent de conseiller les salariés en leur donnant des outils pour résister et rester dignes. Cela permet d’être content pour soi et pour l’autre. Du côté social l’inspection du travail nous donne cette possibilité, sans être pour autant un sauveur ou un justicier, d’être un acteur de l’émancipation pour un certain nombre de personnes.

Dans notre département nous avons le plus fort taux de suicides. Nous sensibilisons sur les moyens d’agir plutôt que de rester dans son mal-être. Cela nous donne ce sentiment d’utilité et cette contribution pour améliorer la vie en commun et en particulier la vie au travail, c’est cela qui nous tient.