Les carrières ne sont plus linéaires, et nous n’y sommes encore que rarement préparés.

Que recouvre la notion de carrière professionnelle ?

La carrière recouvre à la fois la dimension de l’emploi (c’est à dire l’exercice de son activité pour un ou des tiers : employeur(s) ou client(s)), du métier que l’on exerce, ainsi que d’une vision au fil du temps dans l’optique d’étapes que l’on parcoure. Cette dernière dimension introduit la vision d’un long terme, sous-tendu par l’idée d’évolution professionnelle.

La carrière s’ancre sur un concept des années 70, synonyme de progression sociale, qui aurait une dimension verticale. Les grilles de références du secteur public avec les catégories C et D pour les postes d’exécution, B pour l’encadrement intermédiaire et A pour les cadres illustrent ce poids symbolique de la hiérarchie et des étapes qu’il faudrait franchir.

Cette conception de progression n’a pourtant de sens que lorsqu’elle s’inscrit dans une dynamique d’expansion économique. Elle ne recouvre plus la même réalité en période de chômage de masse, de précarisation des emplois, et de mutation rapide des métiers. C’est pourtant durant la période de récession économique que la gestion des ressources humaines a introduit la notion de « gestion individuelle des carrières » s’adressant à tous les salariés, même ceux qui ne seraient pas amenés à « faire carrière ». 

1 – Travailler à plein temps pour un seul employeur n’est plus la norme

La norme de l’emploi salarié représentée par le CDI (Contrat à Durée Inderminée), à temps plein, pour un seul employeur est de plus en plus remise en question afin d’offrir toujours plus de flexibilité.

Même si la loi de modernisation du marché du travail de 2008 a réaffirmé la primauté du CDI sur les autres formes d’emploi : « Le contrat de travail à durée indéterminée est la forme normale et générale de la relation de travail. », 7 ans plus tard, force est de constater que la répartition dans les différentes formes d’emploi s’est élargie allant de la sous-traitance au travail indépendant.

Ces formes de travail ont transformé le lien de subordination du contrat de travail en contrat commercial multipliant potentiellement le nombre d’employeurs-clients et externalisant les risques pour les entreprises. Ces changements retirent de nombreuses garanties sociales aux professionnels – notamment toutes les garanties relatives à une progression (verticale : le fameux ascenseur social) tout au long d’une carrière dans une entreprise.

2- Chacun devient responsable de son évolution professionnelle

Les parcours sont de moins en moins garantis de l’extérieur (et notamment d’un employeur unique pour lequel on travaillerait sur l’ensemble de sa carrière) mais mis sous la responsabilité des individus. L’ANI de 2003 relatif à l’accès à la formation professionnelle tout au long de la vie l’inaugurait : « L’ objectif de permettre à chaque salarié d’être acteur de son évolution professionnelle ».

3- Les changements horizontaux remplacent la progression verticale

Et là, ne nous égarons pas… Les changements horizontaux sont désormais plus nombreux que ceux permettant une promotion sociale. En effet, les mobilités peuvent désormais amener à occuper un poste similaire, à agir dans un contexte d’action différent, voire même à accepter une descension sociale. Jusqu’au milieu des années 80, les déclassements de catégorie socioprofessionnelle étaient très rares. Aujourd’hui ils ont plus que doublé, atteignant près de 30% chez les cadres ayant connu un épisode de chômage ou ayant fait le choix d’embrasser une nouvelle carrière !

4- Les carrières présentent de plus fréquentes crises

Pour retirer tout ce qui pourrait être négatif dans une carrière tel que chômage, placard ou tout ce qui ne rendrait pas compte d’une carrière qui brille de mille feux, de nouvelles terminologies apparaissent. Appels d’air, trou d’air, crise de carrière, transition ou autres notions, il s’agit de gommer tout ce qui dévie de la direction ascensionnelle mais témoigne de parcours plus morcelés, composés d’allers-retours entre chômage et emploi ou entre poste valorisant et dimensionnement plus restreint.

5- L’ambition est toujours là, mais pas à n’importe quel prix

C’est une évolution majeure dans le rapport au travail : la réalisation de soi ne passe plus uniquement par la carrière. Ce cliché a pourtant eu la vie dure mais la « réussite » n’est plus à regarder uniquement sous l’angle du travail. La conciliation vie privée – vie professionnelle est de plus en plus importante, même si la réalité laisse apparaitre une frontière bien peu étanche.

6- Il faut désormais compter avec les réorientations

La mobilité est devenue une réalité prenant différentes formes selon l’âge, le genre, le secteur d’activité et le niveau d’études.

Les changements professionnels ont évolué de manière quantitative et qualitative. Les mouvements volontaires ont massivement laissé place aux mobilités sous contrainte (restructurations, licenciement, ruptures conventionnelles). Pourtant, le chômage n’est pas la cause majeure de la mobilité professionnelle. Bien qu’il soit difficile d’anticiper sur le long terme les compétences nécessaires pour mener sa carrière, on assiste à des reconversions de plus en plus nombreuses témoignant autant de la transformation des métiers que des aspirations à aller vers un métier choisi.

D’après un sondage mené par l’AFPA en 2014 : 42 % des moins de 30 ans envisagent de changer d’orientation dans les trois prochaines années contre un taux de 32 % pour l’ensemble des actifs. Cependant, même si le désir de changement est largement partagé, il ne se transforme pas toujours en reconversion.

7- Une carrière s’accorde de plus en plus au pluriel

Connaissez vous les « slashers » ? Dérivé d’un anglicisme représentant le signe typographique (/), il s’agit de cumuler plusieurs emplois, l’un par nécessité économique permettant d’en exercer un autre plus en lien avec le plaisir (Téléopérateur/Photographe par exemple).

Surreprésentés chez les trentenaires, les slashers témoignent de la précarité intégrée comme mode d’emploi. Leur carrière témoigne de plusieurs facettes se jouant en parallèle.

 

Durant les cinquante dernières années le marché du travail a considérablement changé et la notion de carrière a suivi le mouvement. Désormais gérée en dehors des frontières de l’entreprise, il s’agit de s’organiser individuellement pour conduire sa carrière et de ce fait, cela accroit les inégalités. Dans une perspective de chômage de masse la politique de l’emploi doit prendre en compte la diversité des populations pour pallier au déclassement professionnel d’une partie grandissante de la population.