Et si un management standardisé déresponsabilisait ?

Qu’est-ce que manager au fond ?

Il s’agit d’utiliser des techniques d’organisation de ressources pour administrer une organisation. Ces techniques comprennent la gestion de ressources (financières, matérielles, humaines et intellectuelles) et l’art de diriger des hommes dans le but d’obtenir une performance satisfaisante.

Le management comprend deux horizons : le stratégique et l’opérationnel. Le premier concerne les grandes orientations concernant la conduite à long terme. Le second concerne la mise en application de l’axe stratégique dans le détail. Il s’agit donc de prévoir, organiser, commander, coordonner et contrôler.

Apparition du concept de management

Le mot « management » commence à être utilisé en France à partir des années 60, bien que le concept préexiste à cette appellation. L’émergence de la nouvelle dénomination correspond à l’accession du management au statut de « science », moment de l’histoire où le rêve est de délivrer au décideur un outil infaillible.

A cette époque, le management est encore enseigné dans les business schools par des managers à partir de leur propre expérience. L’empirisme des pratiques évolue peu à peu vers une discipline modelée sur les sciences dures à travers l’apparition de départements de management dans les grandes universités américaines.

Peu à peu le management scientifique sort de l’université pour se déployer très largement dans le monde industriel. Optimiser et rationaliser sont les maitres mots d’une époque où il s’agit de maîtriser la forte croissance économique.

Dans les années 80, l’ouvrage de Peters et Waterman « le prix de l’excellence » remet en question le management occidental. L’inflation et le chômage de masse les incitent à se pencher sur les entreprises qui réussissent afin d’en tirer de nouveaux modèles d’excellence. C’est l’époque où les entreprises japonaises envahissent le marché et s’avèrent être des concurrentes efficaces. Toyotisme, Kaisen, 5S, cercles de qualité, les méthodes de management japonaises appliquent de nouvelles règles, engageant ses salariés à la recherche de solutions « au plus juste » ou encore « au plus maigre ». Il s’agit également d’inverser le système de production : fabriquer immédiatement après la commande du client plutôt que fabriquer d’abord et écouler ensuite. C’est alors l’introduction du concept de « toujours plus » chronique : même lorsque l’entreprise va bien il faut chercher à ce qu’elle aille encore mieux.

Entre le management scientifique et les méthodes japonaises ce qui diffère est essentiellement la place de l’homme au travail. Dans le management scientifique, nous sommes dans la recherche d’expertise et bien souvent l’aide à la décision est faite à partir d’outils pour managers dont les logiciels experts. Décider, avoir prise sur le travail est réservé aux experts, à une minorité en somme.

Le modèle du management japonais requiert pour sa part la mobilisation de tous pour améliorer l’activité. Chaque salarié doit être contributeur de la performance. La dérive de ce modèle est de travailler soi-même à la déconstruction de son travail en exploitant tout temps mort. Seul le résultat du travail est pris en compte et non la manière dont on le réalise. Mais ne nous y trompons pas : les décisions restent, une fois encore, agglomérées en haut de la structure.

Les outils, méthodes et outils du management sont toujours le résultat de recherches, d’expérimentations mais très souvent d’échecs retentissants. Bien entendu, le management permet le progrès des organisations et de l’économie. Pour autant, il n’existe pas de recette universelle pour apprendre à manager, néanmoins, lorsqu’il se forme, le manager aimerait disposer de méthodes toutes faites à appliquer. Dans ce cas, le manager est-il un décideur ou un exécutant (de recettes) ?

L’art de manager des situations singulières

Nous savons pourtant que si les problèmes sont universels, les réponses doivent être singulières. Manager, c’est à dire décider, doit engager la personne toute entière, mais aussi un style, des références et une culture.

Dans un monde professionnel complexe et incertain, la tension sur les résultats à court terme et la nécessité d’anticiper le long terme demandent au management de s’extraire du formatage afin de se rendre auteur de ses propres décisions. Ce faisant, un échec n’est plus attribuable à un modèle inadapté ou à une mauvaise exécution attribuable aux autres mais à sa responsabilité propre.

Reprendre la main sur ses décisions, s’en rendre responsable et s’ouvrir à la critique permet le dépassement de soi, perspective d’un apprentissage à jamais inachevé, donnant accès à l’ « action politique* ». Parce que l’homme est un être doué de langage, il est fait pour mettre sa parole en commun, partager des valeurs, et ainsi former une Cité, au sens de la forme la plus achevée de communauté humaine.

 

 

* Les 3 types d’activité qui caractérisent la condition humaine selon Ana Arendt sont hiérarchisés ainsi :

  • Le Travail : L’animal laborans travaille à conserver sa vie et à produire des biens de consommation destinés aux besoins vitaux.
  • L’œuvre: L’homo Faber produit des objets destinés à l’usage plus qu’à la consommation. Ce sont les œuvres qui s’inscrivent dans une certaine durabilité et permettent à l’homme de créer un monde distinct de la nature.
  • L’action: Le  Zoon politikon  (ou l’action politique) permet à la différence du travail et de l’œuvre de divulguer ce que nous sommes. L’accès au zoon politikon permet de vivre en être distinct et unique parmi ses égaux.