Élisabeth DE LAROCHELAMBERT : De la production de soins à la production de soi

Interview  – Avril 2014

Élisabeth DE LA ROCHELAMBERT est directeur de groupe hospitalier à l’APHP (Assistance Publique des Hôpitaux de Paris). A travers son métier de directeur d’hôpital, elle nous livre la manière dont le travail dans le métier du soin agit sur sa propre identité.

 Elle nous a accordé cet entretien que vous pouvez retrouver en intégralité en cliquant sur ce lien : Version Complète


En tant que directrice d’une grande structure, je voulais savoir comment l’identité professionnelle est une question qui t’intéresse à travers l’animation de tes équipes.

Élisabeth de Larochelambert.  Commençons par ce qui m’a amenée à choisir la profession de directeur d’hôpital. Cela a été un choix guidé par le hasard d’une affiche apposée devant l’amphithéâtre de Sciences Po où j’étais étudiante. Cette affiche disait : « vous cherchez un métier à hautes responsabilités et à valeur humaine essentielle : devenez directeur d’hôpital. » Je me suis dit : c’est exactement ce que je recherche ! Voici un premier éclairage.

On m’a confié des directions d’établissements hospitaliers de plus en plus importants, ou à chaque fois il y avait des missions de restructuration en profondeur à mener avec cet aspect réorganisation collective à décliner en faisant attention à l’individu, tous grades confondus, depuis le chef de service concerné jusqu’au brancardier, en intégrant aussi les incidences sur les métiers administratifs, sur le plateau logistique.

A quels éléments es-tu vigilante durant ces phases de restructuration ?

Élisabeth de Larochelambert. C’est d’être dans la congruence, me mettre à la place de l’autre, imaginer ce que représente pour lui l’organisation professionnelle qui va être mise en place. C’est un premier exercice complexe, car par définition lorsqu’on est dirigeante d’un hôpital on a un positionnement précis qui dans ce domaine là exige que l’on fasse abstraction de tout ce qui peut être d’ordre affectif. Lors de ces phases, c’est, justement précisément dans le domaine de l’affectif que beaucoup des personnels s’expriment.

On a à mener les restructurations internes à nos hôpitaux, à fermer des services, à faire face à de nouvelles activités, à transférer des activités, à fermer des sites, ce qui est plus compliqué évidemment, mais cela arrive. Tout cela relève d’une même approche globale, bien que les implications soient évidemment différentes selon l’échelle de l’action à mener. Cela nécessite un travail sur moi même qui me renvoie à ma propre vie personnelle.

Mon entourage professionnel, mes équipes successives m’ont toujours aidée à faire ce travail sur moi-même.

Qu’est-ce qui est précieux pour être renvoyé à soi et à cette question de : «qui je suis » ?

Élisabeth de Larochelambert. Ce qui est le plus précieux, c’est de ne pas dévier de ses valeurs, d’avoir toujours en ligne de mire, les valeurs qui ont conduit à ce choix, et faire en sorte que si on constate qu’on ne les retrouve plus ou si l’on s’écarte de certaines, de pouvoir s’interroger sur : est-ce que j’accepte cet écart ? Jusqu’où je l’accepterai ? Comment le rectifier ? Donc clairement la valeur du service public, (du public et au public), le regard sans jugement qui est porté aussi bien aux professionnels qu’aux patients qui m’ont amenée à des choix, et notamment celui du poste que j’ai là. Convergence de politiques de santé, choix politiques d’élus locaux, de professionnels, de population, cet équilibre est difficile à trouver. Ce qui me porte beaucoup, c’est le travail d’équipe qui est inhérent à ma profession.

Plus j’avance vers la retraite, plus je suis dans le rôle de passeur et de formation des plus jeunes. Cette année on m’a confié l’accompagnement de 3 stagiaires directeurs. Etre un bon directeur d’hôpital ce n’est pas avoir juste les yeux rivés sur son budget, il y a le terrain. Bien sûr on n’a pas le choix, c’est très contraignant et de plus en plus, mais c’est aussi aimer le contact avec les gens dans toutes leurs fonctions, et c’est aussi sortir de son bureau, aller sur le terrain, rencontrer les professionnels et ça c’est passionnant !

Ce que tu évoques, c’est le soin. Lorsque l’on arrive dans un hôpital, on est peut être sur le moment clé de vie ou mort. J’entends là quelque chose de fondamental comme : « ce n’est pas n’importe quoi qu’on traite ici » finalement. Est-ce cela finalement l’essence de ce que tu nommes la production de soin ?

Élisabeth de Larochelambert. Je pense qu’on ne choisit pas de travailler dans un hôpital comme on choisit de travailler dans un autre domaine. C’est, pour chacun des professionnels, une histoire de vie qui l’explique. On n’y travaille que très rarement par hasard et c’est très important de ne pas le banaliser ni pour les professionnels, ni pour les patients, ni pour les visiteurs.

Comment à ton avis, arrive t-on à se produire soi-même à partir du soin aux autres ? Et par rapport aux équipes, comment tu les accompagnes dans ce questionnement-là ?

Élisabeth de Larochelambert. Ce n’est pas facile, le métier dans lequel je me suis engagée il y a 37 ans, et le métier d’aujourd’hui sont paradoxalement complètement différents. C’est pourtant un métier dans lequel on s’engage toujours avec les mêmes convictions. Ce que l’on est, comment on se construit, c’est à travers ces valeurs humaines : faire en sorte que l’hôpital soit toujours un lieu où l’on sache prendre soin du physique et de la personne dans sa globalité. On s’occupe de l’autre, et parfois tellement qu’on s’en oublie soi-même, sans vouloir rendre trop belle notre profession. Parfois on ne sait plus vers qui aller pour parler de tout ce que l’on a engrangé comme souffrance, dans ce lieu de douleur et d’angoisse par définition. C’est un lieu où l’on voit des gens qui pleurent, qui s’effondrent avec en première ligne le corps médical. On s’adresse à nous pour déverser tout cela et parfois de manière très agressive. Au-delà, il faut comprendre que c’est le trop plein qui s’exprime, bien que l’on ait aussi à le porter sans toujours pouvoir le déporter.


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